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Publié le 22/07/2020 Télécharger en PDF Opinions de quelques experts en santé sur la COVID-19 en RDC
le virus du Covid19 Répondant: Dr Iya Saidou Conde, MD, MSc, Epidemiologiste: Q1. À votre avis, comment expliquerez-vous que le nombre de cas de décès signalés augmente de manière insignifiante tandis que le nombre de nouveaux cas positifs à la covid19 enregistrés augmente considérablement? Il y a beaucoup de raisons qui ne sont jusque-là pas encore totalement comprises. Baser sur les évidences de recherche actuelles; le taux bas des décès dû à la Covid-19 pourrait être attribué au fait qu’en Afrique et en RDC particulièrement, la majorité de la population est jeune et qu’il y a un passé connu de vécu et de gestion des épidémies (polio, Ebola, rougeole, etc.). Une autre explication, certaines études démontrent que les gens des pays où les nouveaux nés ont reçu le vaccin BCG contre la Tuberculose résistent à la Covid-19. Cependant, n’étant pas encore scientifiquement prouvé, le sous-reportage/ sous-estimation des cas Covid-19 pourrait être aussi l’une des raisons du nombre faible des décès dus à la Covid-19. Q2. Epidémiologiquement parlant, la décentralisation des moyens de diagnostic et de dépistage en RDC pourrait avoir un impact positif sur l’enregistrement des cas confirmés à la Covid-19 ? Absolument, la décentralisation de l’Institut National de Recherche Biomédicale aura un impact positif sur la détection rapide des cas, les empêchant ainsi d’évoluer vers un stade avancé de la maladie et par conséquent diminuer le risque de mortalité. Pour renforcer ma réponse, cette épidémie peut être une opportunité dans le sens où cette décentralisation peut contribuer à la qualification du personnel de santé, à la qualification des structures de diagnostic et dépistage des maladies à potentiel épidémique, qui au final contribueront au renforcement du système de santé congolais. Q3. Vous êtes médecin, épidémiologiste et vous avez travaillé en première ligne lors de l'épidémie d'Ebola en Guinée en 2016 dans l'équipe d'intervention. Aujourd'hui, faisant partie de l'équipe de surveillance de la pandémie de COVID-19 à Kinshasa, quelles sont les leçons retenues que vous pourriez appliquer dans la situation actuelle? La première des choses est de gagner la confiance de la communauté car cela est capital dans toute riposte, comme certains disent: « tout ce qui est fait en mon nom sans moi est contre moi » et pour y arriver, on devrait communiquer de manière très transparente et non confuse. On doit toujours s’assurer que l’information est bien harmonisée et ciblée. Aussi l’approche de riposte ne doit pas être que médicale mais holistique, c.-à-d. tous les aspects (social, économique, culturel, etc.) doivent être pris en compte. Q4. Comment pouvons-nous mieux se préparer à une pandémie à l'avenir en Afrique et plus précisément en RDC? On ne réinvente pas la roue. L’Afrique doit impérativement avoir confiance en elle-même, avoir confiance en ses capacités face aux épidémies et surtout mettre un accent sur le renforcement de son système de santé et de surveillance. Le système de santé quel que soit sa performance ne peut empêcher la survenue d’une épidémie mais sa capacité se mesure par sa rapidité à détecter une épidémie et surtout avec cette interconnexion du monde, l’Afrique doit renforcer son système de prise en charge, son système de surveillance. L’Afrique doit profiter ou transformer ces défis en opportunités pour renforcer notre système de santé, y investir plus. Q5. Quelles informations devraient éclairer la prise de décision concernant le confinement et la sortie du confinement à Kinshasa? Les mesures barrières mises en place sont là pour réduire le « reproduction Number » (c’est le nombre des personnes qui peuvent être infectées par une personne infectée). Les décisions souvent stratégiques sont prises sur base de ce nombre-là. Lorsque ce nombre est supérieur à 1, on fait face à une épidémie; égal à 1, la maladie devient endémique et inférieur à 1, ce que personne d’autre ne sera infecté et la maladie mourra d’elle-même. C’est l’information qui a été utilisée ailleurs, comme ç’a été le cas en Allemagne en préparation du déconfinement. Toutefois cette démarche en Afrique est très difficile car on n’a pas les moyens de faire toutes ces analyses. Cette démarche devient efficace lorsqu’on a le moyen d’avoir tous les contacts, lorsqu’on peut construire les chaines de transmission fiable, chose qui n’est pas évident ici chez nous. Aussi voir l’indicateur de départ, est-ce que notre indicateur de départ était basé sur le nombre des personnes infectées, est-ce que c’est le nombre des personnes décédées. Autant mettre sur la balance l’impact économique du confinement sur la population, si cela ne tue plus que la maladie elle-même. Q6. Dans votre tweet du 03 avril 2020, vous avez écrit « pourquoi l’Afrique n’a-t-elle pas défini une stratégie au contexte africain en lieu et place du confinement?». Beaucoup d’autres personnes sur les réseaux sociaux, à la télévision et à la radio ont posé cette question. Quelle est cette stratégie que vous, vous auriez proposée ? Le virus est entré en Afrique par une voie bien définie : la voie aérienne ; de la chine, de l’Europe vers l’Afrique. On a eu tout le temps de vivre cela, ce qu’on aurait pu faire dès le départ c’est de prendre toutes les précautions nécessaires, comme le screening dans les aéroports, prendre en charge de manière très rigoureuse tous les premiers cas confirmés venus d’ailleurs. Je fais partie de ceux qui pensent que l’Afrique n’avait pas besoin de confinement, car le confinement a fait plus de dégâts que la maladie elle-même, nos situations économiques n’étaient pas propices à cette mesure stricte. Répondant : Dr Didier Chuy Kalombola, MD, MSP, Chercheur, CCSC-asbl Q7. Quelles stratégies avez-vous mises en place au niveau du centre de santé de Tshamilemba pour lutter contre la Covid-19? La zone de santé de Tshamilemba (à Lubumbashi) est la zone de santé qui a connu le premier cas positif de covid-19. La réponse face à la covid-19 a été jusque-là une réponse qui a mis en avant beaucoup plus les acteurs politiques ; elle a été plus verticale. Par-là, je veux dire qu’une structure multisectorielle qui se chargerait de la lutte contre la covid-19 a été montée mais l’intégration dans celle-ci des structures de soins de la réponse vite de la lutte contre cette maladie a été négligée. Par conséquent, au niveau d’une structure de première ligne comme la nôtre, dire que nous avons entrepris des actions sur notre initiative, selon une ligne d’actions, n’a pas été fait. En revanche, en qualité de médecin chef de zone intérimaire au début de la pandémie et de manière spontanée, j’avais publié une note circulaire, une sorte d’arbre de décisions provisoire car, il n’y avait aucun arbre de décision qui venait de la hiérarchie. Et sur base des publications qui paraissaient, j’avais communiqué des directives dans toutes les structures de soins dans cette zone de santé. Ainsi dit, en plus des kits de lavages, masques, désinfectants disponibles dans les structures de santé dans cette zone de santé, vous trouverez l’arbre de décisions et la note circulaire affichée. Q8. Quel est votre rôle/ position en tant que centre de santé dans la prise en charge des malades covid-19 ? Je voudrais préciser le fait que la prise en charge des cas positifs à la covid-19 ne se fait pas au centre de santé de Tshamilemba mais plutôt au niveau de la zone de santé. Nous avons été, jusque-là des acteurs passifs. On apprenait des nouveaux cas et des mesures mises en place pour leur prise en charge, à la télévision ou la radio comme tout le monde. Nous, tous ce que nous faisons, c’est sensibiliser les gens à adopter les mesures barrières et à se protéger. On n’a joué aucun rôle, ni dans le diagnostic ni dans la prise en charge. Q9. De par votre expérience, votre vécu durant cette pandémie quelles sont ces choses/ actions qui auraient pu être mieux faites dans la gestion de la crise covid-19 ? ** La gestion de l’information pour éviter le mauvais étiquetage, la stigmatisation et le rejet des recommandations. ** Distribuer une vision et montrer son bien-fondé. En situation de crise comme celle-ci, il faut créer et diffuser une vision, pour que les gens sachent où l’on va et comment on y va. ** Inclure tout le monde dans la dance, c.-à-d. faire participer tout le monde dans la riposte, dont les acteurs de terrain, les zones de santé, les médecins chefs de zone, les leaders des différentes confessions religieuses, les détenteurs d’enjeux, ** Les décisions prises, c.-à-d. une certaine notoriété dans la gouvernance menée. ** Bien Organiser la réponse à la covid-19 car, on a mis de côté notre système de santé. On a construit d’autres structures pour les malades. On a négligé ce qu’on avait comme système face à la covid-19 mais hélas les cas continuent d’augmenter. ** Renforcer les instruments de régulation, par là je veux dire, réguler le comportement de la population et de ceux-là qui sont en train de gérer la réponse à la covid-19 pour le bien-être futur de la population Répondant: Prof. Dr. Faustin Chenge, MD, MSP, PhD, Chercheur, CCSC-asbl Q10. En tant que chercheur, conseilleriez-vous l’usage des évidences dans l’élaboration des stratégies effectives pour la riposte contre la COVID19? Quand on fait de la recherche scientifique c’est pour générer des évidences. On ne fait pas de la recherche pour la recherche, mais on fait de la recherche pour pouvoir résoudre des problèmes qui se trouvent dans la société.Pour le moment nous faisons face à une pandémie, une maladie pour laquelle nous avons plus d’interrogations que de réponses. Et je pense que les décisions que l’on doit prendre, quelles qu’elles soient, doivent être tout au moins informées par les résultats de la recherche scientifique. Autrement on risquerait de prendre des décisions qui ne sont ni efficaces ni efficientes et encore moins acceptées par la population. Sur ce, je ne peux que conseiller l’usage des évidences dans l’élaboration des stratégies que l’on est en train d’utiliser actuellement dans le cadre de la riposte contre la pandémie Covid-19. Q11. La Covid-19 est une maladie totalement nouvelle au monde. Le CCSC-asbl dans ses notes de politique pour informer la prise de décision se réfère aux évidences. Aujourd’hui avec la Covid-19, à quoi le CCSC-asbl se référerait-il dans l’élaboration de ses documents scientifiques ? Dans ce cas, c’est de la recherche primaire que l’on ferait d’abord pour produire les évidences afin de mieux informer la prise de décision. Au CCSC-asbl, on réfléchit déjà sur comment faire une analyse verticale de base de la Covid-19. C’est-à-dire une analyse systématique de toutes les connaissances dont nous disposons actuellement sur cette maladie et sur cette base-là nous pouvons arriver à mettre au point une stratégie capable de contrôler ce problème de santé, c’est-à-dire une stratégie efficace, efficiente, faisable, acceptable par la population. Par acceptation je veux dire sur le plan culturel, matériel, etc. Q12. Comment qualifierez-vous la communication de proximité dans la riposte à la covid19 à Kinshasa ? Lorsque l’on se trouve devant un problème de santé publique, il est très important de pouvoir impliquer la communauté et il n y’a pas mille manières de pouvoir impliquer la communauté que par la communication. Jusqu’à ce jour, beaucoup reconnaissent que la communication a beaucoup de lacune, elle n’est pas encore à la hauteur de ce qu’elle devrait être. La majorité des kinois sont dans une philosophie de négation, ils nient l’existence de cette maladie. Il faut une communication qui saura faire changer cette perception. Mes suggestions face à cela seraient par exemple: d’inventer les noms de cette maladie dans nos langues nationales comme cela a été le cas au début des campagnes de vaccination de masse contre la poliomyélite (Lingala : Buka-Buka, Swahili : Vundja-Vundja) en 1997 et rallier à ce nom une image qui susciterait de la peur dans la population, qui transmettrait un message non contraire à ce que l’on voudrait transmettre comme message. Par exemple une image aux poumons infectés par le virus de la Corona. Q13. La RDC suit-elle les bons indicateurs du système de santé en ce moment? Les indicateurs utilisés sont ceux-là qu’on utilise habituellement en période de pandémie. C’est très souvent le nombre de cas et de décès. Par contre, il y a une faiblesse par rapport à ces indicateurs. Je pense que les meilleurs indicateurs auraient été le taux d’incidence, c.-à-d., le nombre de nouveaux cas rapportés dans la population et cela se ferait en faisant des enquêtes communautaires avec des échantillons aléatoires mais représentatifs de la population de Kinshasa par exemple. Ce n’est qu’en ce moment que l’on saurait voir le vrai taux d’incidence de la maladie. Les indicateurs qu’on utilise actuellement donnent une impression que la maladie est en train d’évoluer, c’est possible, mais il est plus lié à la capacité de diagnostic qu’autre chose dans notre contexte. Un autre indicateur qui nous manque cruellement là et qui n’est pas utilisé, est le taux de mortalité intraospitalière qui donnerait une image exacte de la qualité de prise en charge des malades dans nos centres hospitaliers. Une information qui permettrait aux autorités de pouvoir prendre des décisions pour savoir pourquoi les patients meurent dans les centre de traitement et peut-être à partir de là les équiper adéquatement.
Biographie des Répondants Iya Saidou Conde est Médecin de formation de la Guinée et est épidémiologiste de London School of Hygiene and Tropical Medicine. Il a travaillé en 2013-2016 en première ligne pour l'OMS lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest en tant qu'épidémiologiste de terrain. Actuellement, il est dans l’équipe de surveillance avec l’OMS à Kinshasa où il les appuie. Didier Chuy Kalombola est médecin, titulaire d’un diplôme de master en santé publique de l’IMT Anvers. Actuellement, il mène ses recherches sur le stewardship des systèmes de santé en milieu urbain pour sa thèse de Doctorat (PhD). Il est également Médecin Directeur d’un Centre de Santé d’Apprentissage et de Recherche Tshamilemba, en RDC. Faustin Chenge est Médecin de formation, Docteur en Santé Publique. Il est auteur ou co-auteur d’une trentaine de publications scientifiques. De 2012 à 2016, il fut Directeur de cabinet du Ministre de la Santé Publique. Il est également enseignant à l’Ecole de Santé Publique et à la Faculté de Médecine de l’Université de Lubumbashi, ainsi qu’à la Faculté de Médecine de l’Université de Kisangani en RDC. Actuellement, Il est Directeur du CCSC-asbl.
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